Document « mirifique », transmis par notre ami Bernard A.

(Toujours à l’affut de trouvailles).

Cela nous change des controverses pichrocolines qui encombrent l’éther. (net).

(Pichrocole est un personnage de maître Alcofibras Nasier. Son nom vient du grec ‘bile amère’). (le web, dixit).

Rien à voir avec le village de ‘Quarante huitards » évoqué ici. Tout se passe en 1848.  L’IA n’existait pas.

Amitiés. PP.

PONTEBA, un village de « Quarante-Huitards » …près d’Orléansville  en Algérie.


1848 …

La toute jeune République regarde vers l’Algérie et tente l’expérience restée connue sous le nom de  »colonisation ouvrière de 1848 ».

Par l’arrêté du 19 Septembre 1848, le gouvernement offre aux ouvriers parisiens la possibilité de partir pour l’Algérie où on leur donnera des terres. Intéressés par cette offre, les NAUDIN, une famille parisienne, s’embarquent le 9 Novembre pour le village prometteur de PONTEBA, près d’ORLEANSVILLE.

D’où provient le nom de PONTEBA ?

C’est le nom d’une victoire de BONAPARTE. Dernière ville italienne de la Province de VENISE avant la frontière autrichienne, en montant vers le col de TARVIS, franchi par BONAPARTE en 1797, avant le traité de CAMPO-FORMIO.

Dès le 23 Septembre 1848, un avis public indiquait que  »les citoyens de toutes professions qui désiraient faire partie des 12 000 colons qui doivent être installés dans les colonies agricoles en 1 848 sont invités à se faire inscrire dans leurs mairies respectives où des listes seront, ouvertes en conséquence ».
C’est la ruée : le 8 Octobre 36 000 volontaires sont déjà inscrits ; fin Octobre, plus de 100 000 personnes se sont portées volontaires, et une commission doit statuer sur chaque candidat, au vu des papiers et certificats établissant sa position.
L’Algérie représente, pour ces ouvriers souvent sans emploi, la promesse d’un avenir prospère et radieux : se voir octroyer une parcelle de terrain de 2 à 10 hectares, une maison, des outils, des semences et des bestiaux, recevoir des rations de vivres jusqu’à ce que les cultures produisent, voilà une bien belle affaire ! Le plus curieux, c’est que bon nombre de traditions familiales en feront plus tard des déportés politiques alors que seules la misère et l’aspiration à une vie meilleure les poussent à partir.
C’est ainsi que Louis-André NAUDIN, ancien journalier à CORBEIL, employé chez un grossiste en vins à PARIS s’inscrit avec sa femme, sa fille et ses trois fils. Un beau matin, un garde national en tenue se présente à son domicile, porteur du carton annonçant que sa candidature est acceptée. Le départ est prévu dans les prochains jours et personne n’a garde d’oublier  »le Guide des nouveaux colons en Algérie » que l’Administration a fait distribuer.
Les premiers colons quittent le quai de BERCY le 8 Octobre 1848, en présence du Général de LAMORICIERE , Ministre de la Guerre, et avec la bénédiction des autorités religieuses.
Direction SAINT-CLOUD, en Algérie, un petit village à créer dans l’ORANIE. Un voyage de trois semaines effectué en chaland jusqu’à CHALONS SUR SAÖNE, en bateau à vapeur jusqu’à ARLES, en chemin de fer jusqu’à MARSEILLE. Puis, après une traversée de quatre jours, les côtes de l’AFRIQUE DU NORD se précisent.
Les NAUDIN sont du 9ème convoi, à destination de MONTENOTTE, de LA FERME et de PONTEBA, trois villages de la Plaine du CHELIFF.Le départ est fixé au 9 Novembre 1848.
C’est dans la joie que les familles embarquent sur les chalands (sur lesquels flottent les drapeaux des trois colonies à créer), encadrées par des policiers chargés du pointage et du maintien de l’ordre. Le convoi part et bientôt les tours de Notre-Dame s’estompent dans le lointain … Trois semaines plus tard, se dresse la silhouette massive du Cap TENES :
Voici l’ALGERIE, le nouvel Eldorado !
Mais l’accueil des colons à TENES n’est pas ce qu’ils prévoyaient : non que la réception soit sans chaleur, bien au contraire, mais il leur est brossé un tel tableau de PONTEBA et de LA FERME que tous veulent s’installer à MONTENOTTE ! Les militaires, chargés d’organiser la création de ces colonies ne l’entendent cependant pas ainsi, et la répartition par villages s’opère.
En convoi, les colons partent pour leur lieu de destination mais, comme la route de TENES à ORLEANSVILLE est en fort mauvais état, les carrioles de l’armée ne peuvent pas y rouler trop chargées, si bien qu’une bonne partie de leurs bagages doit provisoirement rester à TENES !
Une fois passées les gorges de l’Oued ALLALA, les Parisiens arrivent à MONTENOTTE où ils sont accueillis par le Capitaine LAPASSET. Le gros du convoi continue son chemin à travers le massif du DAHRA. Au soir de cette première journée assez éprouvante, les colons s’arrêtent à l’auberge du lieu dit  »Les trois palmiers » , où les femmes et les enfants peuvent se coucher sur des paillasses, les hommes devant dormir sous des tentes de l’armée. Au réveil, il pleut et les quelques kilomètres qui restent à parcourir pour atteindre ORLEANSVILLE sont péniblement accomplis. Heureusement, les habitants de la cité viennent offrir gîte et couvert aux Parisiens, ce qui les réconforte. Les colons se séparent suivant leur destination et, le 6 Décembre 1848, enfin, les NAUDIN arrivent à PONTEBA, située à 6 km à l’Est d’ORLEANSVILLE. Trois grandes baraques, de 80 m de long sur 6 m de large, construites par le Génie Militaire, une route défoncée, une rivière boueuse : le CHELIFF. Pas un arbre, des collines nues ; seuls quelques champs cultivés par les militaires.
Le mythe de l’Eldorado déjà passablement éprouvé, s’écroule totalement et les beaux discours du départ ont maintenant un goût amer.
Le Capitaine Michel BESSE, du 16ème de Ligne, un vieux routier de l’Afrique, est chargé de les encadrer. Dans un discours ferme, il leur explique sa méthode de travail : réveil au tambour, à 5 heures du matin (l’été, à 3 heures !), départ en escouades aux champs pour le travail obligatoire. Récalcitrants et paresseux sont prévenus que leur mauvais volonté les privera de nourriture. Un ton dur, brutal, mais efficace. Dès la fin de Janvier 1 849, le Capitaine BESSE peut noter dans son rapport :
 » Je n’ai qu’à me louer actuellement des bons procédés des colons. Dans le commencement, ils semblaient ne pas vouloir se soumettre au commandement du chef. Quelques remontrances ont suffi pour les ramener à de meilleurs sentiments. Je pense qu’animés du vrai désir de bien faire, les colons de PONTEBA pourront être signalés comme étant bien soumis, et s’être occupés de la prospérité de la colonie.« 
Une exception, ce ton autoritaire ? Il semble bien, au contraire, être largement répandu. L’administration demandait à de vieux briscards sortis du rang ou à de jeunes lieutenants d’encadrer des civils venus défricher, cultiver et fonder des village, une mission pour laquelle ces officiers n’étaient nullement préparés, et qu’ils n’appréciaient pas toujours. Le mépris des militaires pour ces civils considérés, à tort, comme des  »enragés des barricades », n’arrangeait rien à l’affaire. Il y aura certes des philanthropes : LAPASSET, adulé par les colons de MONTENOTTE, De MALGLAIVE qui engagea sa fortune personnelle pour sauver le centre de MARENGO. Il y aura également des profiteurs tels le Lieutenant du village d’EL AFFROUN ; qui n’hésita pas à s’arroger un droit de cuissage sur les femmes des colons.
Entre les deux extrêmes, beaucoup d’officiers furent soucieux de remplir leur mission du mieux possible, malgré leur méconnaissance du travail de la terre et les faibles moyens alloués par une administration tatillonne.
A chacun sa méthode : le Capitaine BESSE entendait se faire respecter. Il s’occupe tout d’abord de dresser l’état des lieux, répartir les lots et loger les familles : PONTEBA compte alors 321 habitants, dont 78 concessionnaires, se partageant 121 parcelles réparties en deux zones. Mais, comme  » le lotissement n’est pas fait (on ignore encore la superficie de PONTEBA), les lots de la 2ème zone n’ont pu être distribués « . Les quelques colons venus comme ouvriers d’art (maçons, etc.) réclament et reçoivent également un petit lopin. Une baraque est réservée aux célibataires, les familles se partageant les deux autres.
C’est alors que le Capitaine BESSE qui doit, mois par mois, envoyer un  »rapport sur la situation de la colonie » à l’administration (ces rapports deviendront trimestriels à partir de 1 850), commence à prendre des notes en soulignant les points suivants :
1 – Situation morale de la colonie, disposition d’esprit des colons, habitudes, règles de conduite.
2 – Bien-être matériel des colons, nourriture, vêtements, appropriation intérieure des habitations.
3 – Etat d’avancement des constructions tant publiques que privées, des routes et des chemins.
4 – Superficie du territoire de la colonie.
5 – Etat des diverses cultures.
6 – Nombre et espèces de bétail possédé par les colons, nombre de charrues.
7 – Etat sanitaire de la colonie.
8 – Nombre de décès et de naissances pendant le mois (tenue du registre d’état civil).
9 – Effectif de la population au dernier jour du mois.
De plus, des officiers du Génie Militaire et des inspecteurs se rendent, de temps en temps, dans les différentes colonies agricoles (on en compte 42 dans toute l’Algérie).
Tous ces rapports étant conservés, on peut suivre pas à pas l’évolution des centres.

A PONTEBA, tout le monde se met donc au travail au son du tambour.
Il faut s’occuper des parties communes : aménagement de la route allant à ORLEANSVILLE et construction de l’enceinte du village. Dès Février, la route est finie, l’enceinte achevée sur deux de ses côtés (le Génie Militaire ayant au préalable tracé au cordeau le plan en damier du village). Une 4ème baraque, destinée aux employés (en particulier ceux des entreprises de construction), à l’infirmerie et aux magasins est construite. On bâtit des hangars pour remiser le matériel et abriter les chevaux. Les terres communes sont ensemencées : 260 quintaux de blé et 95 quintaux d’orge leur avaient été distribués ; 2 200 arbres (peupliers, mûriers, noyers, figuiers) et 2 000 pieds de vigne sont mis en terre dès le premier mois !  » On a distribué des grains en quantité suffisante pour subvenir plus tard à l’alimentation des colons ; ces grains sont en bonne voie de prospérité ; tout porte à croire que dans peu de temps, les colons pourront recevoir les premiers fruits de leur labeur  » note le Capitaine BESSE. De plus, les jardins (de 15 à 20 ares), situés en bordure du CHELIFF (premiers terrains à sortir de l’indivision), sont distribués et déjà cultivés.
Le Capitaine-Directeur se loue du moral des colons  » animés du désir de bien faire, mis à part quelques célibataires grincheux ramenés manu militari à de meilleurs sentiments « . Il semble – du reste – que les colons de PONTEBA aient été des gens paisibles, car cet officier – et ses successeurs – ne se plaindront jamais du mauvais vouloir de leurs administrés, bien au contraire ; ils ne formuleront aucune demande de punition et ne feront état d’aucun délit répréhensible durant les quatre ans d’encadrement militaire de la colonie.
On est donc loin de la légende des  »agités » et des  »déportés ».
Si les plantations poussent, si les récoltes s’annoncent prometteuses, si l’édification du village se poursuit, le Capitaine BESSE remarque, en revanche, que  » ‘le bien-être des colons est passable, qu’ils ont besoin de gagner quelque argent pour améliorer leur position  » – les travaux collectifs étaient rémunérés. Il note aussi un certain nombre de lacunes, en particulier à propos de l’alimentation :  » la nourriture n’est pas assez abondante. Le pain pourrait être meilleur, s’il était manipulé par un boulanger (…). Le vin est généralement mauvais (…). Les légumes ne sont jamais variés, les colons se fatiguent de manger toujours du riz ; la viande est bonne, mais pas assez abondante (…) « . Mais l’administration ne réagit pas et, les mois suivants, le capitaine se plaint toujours de l’aigreur du vin (et de la mauvaise grâce que montre l’intendance à le reconnaître !), du pain de troupe  » qui pourrait être meilleur « , des légumes qui se divisent en riz et haricots ; les haricots ne cuisent pas, ce qui fait que, dans les familles, on reste, pendant les quatre jours que dure la distribution, sans légumes « . Heureusement, la production des jardins améliore l’ordinaire et le salaire des travaux collectifs permet aux colons d’acheter aux marchands ambulants quelques boissons – d’ailleurs mauvaises !
Quant au confort matériel, il s’améliore.  » L’intérieur est bien entretenu, chaque famille a reçu de cinq à six caisses à biscuits qui ont servi à faire des lits, des étagères ou des bancs. Les familles les plus nombreuses ont demandé des planches au génie, moyennant remboursement « . Quoi qu’il en soit, tout le monde a son lit. Un vaguemestre assure la distribution du courrier deux fois par semaine : il ne ménage pas sa peine sur les routes défoncées entre ORLEANSVILLE, LA FERME et PONTEBA.
Les enfants vont déjà à l’école où un vieil instituteur leur fait la classe. Il semble cependant que les gamins soient plus doués pour l’école buissonnière, ce qui rend furieux l’officier-directeur. A ses yeux, un seul moyen pour les forcer à suivre les cours ;: la privation de nourriture !
Cependant, une légère vague de chaleur se fait sentir fin Janvier-début Février 1849, et le Capitaine BESSE fait part de ses angoisses :  » La récolte, de magnifique qu’elle était, devient désespérante, surtout si la chaleur dure encore 15 jours « , écrit-il dans son rapport, fin Février 1849.  » L’orge et le blé souffrent beaucoup, le foin, qui promettait du succès, jaunit déjà (…) Les graines qui sont semées dans les jardins ne peuvent traverser la croûte de terre sèche, les pois et les fèves seulement prospèrent. « 
La construction se poursuit : le fossé d’enceinte est terminé en Avril, une voie reliant le village à la route de MILIANA est entreprise. Des maisons se construisent : celle du directeur de la colonie, la forge, la boulangerie, et cinq maisons doubles au mois de Mai et six maisons simples en Juin, la maison de secours et le presbytère.
En revanche, la situation sanitaire des colons, jusque-là satisfaisante, commence à se dégrader, aggravée par les grosses chaleurs. Le médecin affecté à la colonie constate dans l’ensemble que  » les premières chaleurs et surtout le vent du désert qui a soufflé pendant huit jours et nous a donné à l’ombre 48° centigrades (au mois de Juin !) ont apporté dans la santé générale, quelques modifications qui, heureusement, n’ont rien d’inquiétant « . Il s’agit essentiellement d’embarras gastriques, d’une lassitude générale due à la chaleur, de quelques ophtalmies et conjonctivites douloureuses, de coliques et de diarrhées, dues en particulier à la mauvaise habitude de trop boire et au manque d’hygiène alimentaire (les coutumes parisiennes devront être corrigées sous le soleil d’Afrique : régime sévère et port d’une ceinture de flanelle pour ne pas prendre froid), de quelques accès de fièvre.
En outre, quelques colons commencent à se décourager et songent à partir. Deux petits enfants sont morts,  » emportés à l’apparition du sirocco (vent du désert). Nous avons de plus un triste accident à déplorer : un colon est allé se baigner après son repas et s’est noyé. Enfin, le 29 (Juin), une jeune dame enceinte de deux mois et demi a eu un avortement suivi d’une perte utérine extrêmement grave qui n’a cédé qu’aux dernières ressources de l’art. Cette dame, le lendemain ; lorsque son état a pu le permettre, a été envoyée à l’hôpital « 
La pharmacie de PONTEBA manque d’instruments chirurgicaux indispensables (forceps, sondes, seringues) et l’infirmerie reste toujours installée dans une baraque dont les planches sont  » mal jointes et insalubres. Elles ne défendent pas de l’action du vent et sont, sous l’action du soleil, de véritables fournaises. Le jour excessivement chaudes, elles laissent passer l’humidité et la fraîcheur des nuits (…) . De plus, les habitations sont remplies d’insectes qui tourmentent les habitants, les privant de sommeil « . Dans ces conditions, les malades graves sont évacués sur l’hôpital militaire d’ORLEANSVILLE au moyen d’une carriole de l’armée. Aussi le médecin réclame-t-il une voiture-maison pour le transport des blessés et des malades ; il souhaite la formation de gardes-malades, de secouristes et de sages-femmes parmi les dames de la colonie, afin que l’entraide soit plus efficace. Des mois passeront avant qu’il soit entendu.
Le Capitaine BESSE note, en Juillet 1 849, que, pour vingt familles, la réussite est, malgré tout, à peu près assurée, pour quarante-trois, elle est possible, pour vingt et une difficile. Il mentionne également cinq récalcitrants notoires, mais personne de physiquement incapable, d’évincé ou parti volontairement. La terrible vague de chaleur de l’été va précipiter les choses : il ne reste plus que 248 habitants à PONTEBA en Septembre 1849 ! La chaleur a été accablante, les cultures (fourrage, céréales et tabac) ont grillé sur pied, l’eau a manqué (il n’y a qu’un puits profond de 16 mètres pour toute la population). On compte des décès et des départs. L’échec est général dans toutes les colonies agricoles : outre la sécheresse, le manque de savoir-faire de ces Parisiens qui n’ont, pour la plupart, jamais travaillé la terre auparavant se fait sentir. En outre , l’administration refuse d’envoyer des moniteurs de culture.
A PONTEBA, parmi les familles qui réussissent : les NAUDIN. André NAUDIN ayant été longtemps cultivateur, prodigue des conseils et fait de son jardin et de sa parcelle de 7 ha l’une des moins désolées. Néanmoins, tous les espoirs de récolte se reportent maintenant sur l’année suivante.
Fin Décembre 1849, le Capitaine BESSE note que  » les colons se livrent aux rudes travaux avec tout le zèle ;possible (…). La majeure partie d’entre eux sont animés du désir de prospérer.  » Il ajoute que  » la rude année qu’ils viennent de passer leur a servi de leçon. Les travaux en commun sont détestés, il ne serait plus possible d’employer ce mode sans s’exposer à de nouvelles réclamations « . En outre, le réveil au tambour et surtout la privation de rations alimentaires sont bien moins tolérés qu’avant. Il estime que chaque famille pourra, en 1850, récolter 50 à 60 quintaux de grains et il demande au Génie Militaire de construire des norias (système de godets sur chaînes ; pour puiser l’eau). D’autre part, il distribue aux colons qui demeurent un  » Almanach du laboureur  » édité par l’administration, où, mois par mois, sont donnés des conseils élémentaires en matière d’agriculture et d’hygiène de vie, en même temps que sont cités des cas exemplaires de colons venus sans rien et maintenant prospères.
Les colons de PONTEBA louent volontiers leurs bras pour des travaux collectifs rémunérés, notamment pour la construction des routes ou le creusement des fossés délimitant les parcelles. Un différend va les opposer un moment au Génie Militaire qui trouve excessives les sommes réclamées par le géomètre du village et le Capitaine BESSE. Cette affaire sera réglée à l’amiable. Grâce au petit pécule ainsi gagné, les colons peuvent s’acheter des produits de première nécessité : vêtements et complément de nourriture.
Coup sur coup, tombent deux mauvaises nouvelles. L’administration refuse tout d’abord de financer les norias sous prétexte que  » les colons de MARENGO, NOVI et autres centres ont creusé leurs puits individuels ; les colons de PONTEBA n’ont qu’à faire de même « . Or, dans ces villages, il suffit de creuser un sol de tuf solide pour trouver de l’eau à une profondeur de 5 m, alors qu’à PONTEBA, l’eau se trouve à 16 mètres de profondeur dans un sol alluvial s’écroulant sans arrêt ; les puits nécessitent donc un coffrage. On ne peut construire qu’un lavoir ; faute d’abreuvoir, les bêtes doivent aller boire au Chéliff. Ensuite, la sécheresse sévit de nouveau : si  » les colons on réussi à ensemencer une moyenne de 5 ha chacun (et si) tout leur présageait un meilleur avenir après la récolte, (…) malheureusement la sécheresse qui se prépare encore cette année leur enlève tout espoir ; leur moral s’affecte sensiblement de voir ainsi deux années de perdues  » écrit le Capitaine BESSE, à la fin du mois de Mars 1850.
L’année 1850 sera épouvantable : le blé sèche sur pied, les départs se succèdent, la malaria fait des ravages (la mortalité infantile est particulièrement élevée).
Des volontaires venus de France viennent déjà remplacer les premiers colons découragés : parmi eux, la famille NOËL, originaire d’un petit village de NORMANDIE, à qui l’administration a accordé un  » secours de route  » pour qu’ils puissent rejoindre PONTEBA.
En attendant la construction de l’église, l’infirmerie sert de chapelle, le curé d’ORLEANSVILLE se déplaçant pour dire la messe. Faute de crédits : » l’intendant a refusé de donner une ambulance complète « , les soins sont donnés à domicile, les malades graves étant toujours évacués sur ORLEANSVILLE dans des conditions pénibles. Commerce et artisanat se développent : on compte des débitants (de boisson), un épicier, un cordonnier, une fleuriste, un tuilier. Les jardins potagers produisent mais le problème de l’eau n’est toujours pas résolu et le Capitaine BESSE, soulevant la question des norias, évoque un projet de barrage et avertit l’administration :  » Si on recule devant ce travail, je crains que l’on soit obligés d’abandonner la colonie ! « 
Les colons les plus solides résistent ; des moniteurs enseignent les soins à donner aux bovins, apprennent aux Parisiens à cultiver de façon plus rationnelle. Les pluies des mois d’Octobre et de Novembre réconfortent les colons, il ne reste plus à PONTEBA que 188 habitants et 68 concessionnaires, parmi lesquels un tiers de nouveaux venus.
Le Capitaine BESSE est remplacé, quatre officiers se succèderont en deux ans à la tête du village.
1851 est une année moins mauvaise, quoique la situation demeure toujours bien précaire.
Les colons savent maintenant se servir de la charrue  »à la DOMBALLE » et de charrues plus légères. Le matériel agricole se complète, l’emploi du joug d’encolure pour les bœufs permet des labours plus importants. En Avril, le génie militaire a achevé l’église (une maison double transformée), l’abbé BERTHOT vient s’installer au village, ce qui  » produira un effet immense sur toute la colonie « . Les constructions s’améliorent,  » le génie a reçu l’ordre de mettre à la disposition de chaque colon la chaux et les tuiles nécessaires pour réparer les toitures « , point faible de toutes les maisons, bien souvent construites par des entrepreneurs peu scrupuleux.
En revanche, la route d’ORLEANSVILLE, défoncée, est impraticable par gros temps et doit être réparée.
Le Docteur DOURS visite toujours les malades à domicile ; il n’y a toujours pas d’ambulance ; quelques marchands de vin, un épicier et un boucher vivotent mais  » le manque d’argent empêche les industries de se former parmi une population qui n’a aucune ressource pécuniaire  » ; le problème de l’eau reste entier. En outre, une invasion de sauterelles détruit de nombreuses cultures.
Maintenant que le village est plus solidement implanté, les Arabes y viennent volontiers et l’officier-directeur peut noter  » qu’ils sont bien traités par les colons ; quelques-uns les emploient et leur accordent une confiance illimitée, et peu de plaintes parviennent à l’autorité  » (Mars 1851 ). Cependant, au printemps  » les indigènes pillent nos récoltes ; ils coupent les blés, lorsqu’ils ne trouvent pas de gerbes toutes faites que le propriétaire n’a pas enlevées dans la journée. Malgré les patrouilles et les gardes particulières, il est impossible d’empêcher les Arabes, voleurs de naissance, de se livrer à cette industrie qui les fait vivre aux dépens des cultivateurs  » (Juillet 1851).
Malgré ces péripéties  » les relations avec les arabes sont toujours pacifiques. Ces derniers nous vendent quelques fruits, de la volaille et du bois  » (Octobre 1851)
Enfin, l’administration accepte de financer les puits à norias. En Octobre 1851, la construction de deux norias qui serviront à l’arrosage des jardins est entreprise. La récolte de fourrage de 1852 est correcte et permet aux colons de rembourser les dettes qu’ils n’avaient cessé de contracter depuis trois ans.
L’école de filles et surtout celle de garçons restent toujours aussi peu fréquentées. En revanche, les maisons sont réparées ou finies  » L’esprit de prévoyance s’introduit peu à peu dans les ménages, ainsi, de nombreuses basses-cours sont bien peuplées, les volailles et les chèvres y abondent, quelques vaches et quantité de cochons qu’on engraisse pour mettre au saloir ; presque tous font leur pain eux-mêmes, et avant les labours, quinze voitures sont allées à MILIANA faire moudre le grain (il n’y pas de moulin au village, les colons sont obligés de faire une centaine de kilomètres jusqu’à la minoterie la plus proche !). Les habitations sont bien entretenues par la majorité des colons, presque tous y ont ajouté des écuries en maçonnerie, des hangars et étables de sorte qu’aujourd’hui, ils sont à peu près installés quant à leurs ressources et à l’exploitation de leurs concessions  » (Décembre 1851).
En 1852, on peut affirmer que le village est sauvé, même si les conditions de vie sont encore très dures. Les dettes remboursées, il ne reste que peu d’argent aux colons (seules vingt et une familles ne sont plus redevables à l’Etat). Il n’y a toujours pas de moulin au village, il faut encore aller à MILIANA pour le moulage.  » Et encore là-bas fait-on attendre au moins quatre jours, et quelquefois même le peu de bonne volonté des meuniers oblige les colons à revenir sans farine ! « . Un troisième puits à noria est construit,  » PONTEBA ne demanderait plus à l’Etat qu’une seule chose, celle de lui venir en aide pour la construction d’un bassin qui servirait de lavoir, le tout alimenté par une noria placée au puits qui existe actuellement  » (Septembre 1852).
Sur les 1000 hectares fixés à l’origine comme devant être mis en valeur, 958 sont effectivement travaillés, plantés de vignes ou d’arbres ; 268 ha sont plantés de blé dur, 134 d’orge et 235 de fourrage ; le cheptel se multiplie. Le village compte une cinquantaine de maisons.
Fin 1852, l’armée se retire, confiant l’administration du village à l’autorité civile.
Le premier maire, Pierre PAULET, un  »quarante-huitard » tenace qui a réussi, représente PONTEBA au Conseil Municipal d’ORLEANSVILLE, présidé par Ferdinand DUBOC, le commissaire civil. L’une des premières tâches de l’administration civile sera de dresser, le 6 février 1853, ‘l’état nominatif des colons ayant droit à des titres de propriété ». André NAUDIN, avec ses 10 ha de terre (il en a acheté 3 ha supplémentaires à un colon découragé) fait partie des prétendants sérieux ; il est vrai que ses fils participent à l’entreprise familiale ; la fille aînée s’est mariée à ORLEANSVILLE avec un débitant de vin.
En revanche, les quatre frères NOËL, eux aussi cultivateurs de profession avant de venir en Algérie, peinent beaucoup plus ; ils ont plus de bouches à nourrir, et leur terre donne peu : ils ne réussiront pas, revendront leurs petites parcelles et trouveront à s’employer dans des fermes plus prospère aux environs d’ORLEANSVILLE.
En 1855, Ferdinand DUBOC accorde à André NAUDIN un petit lot de terre pour compléter une parcelle déjà plantée en vigne sur les coteaux de PONTEBA, que le rude cultivateur arrose au bidon, pied par pied ! Deux ans plus tard, tout est planté. Vers 1860,sur la partie du lot formant plaine, le colon creusera un puits et construira une grande maison. A son petit-fils, il demandera de mettre une bouteille de vin entre les pierres des fondations  » pour porter chance « .
La régularisation des titres de propriété s’effectuera lentement : l’arrêté de concession est délivré aux différents colons de PONTEBA en 1857 ; les titres de concession sont établis en Février 1858 ; la régularisation des titres définitifs n’aura lieu qu’en Juillet 1866, une fois que l’administration aura vérifié que les terrains étaient effectivement défrichés, plantés et clôturés, comme s’engageaient à le faire les colons. Entre-temps, le village s’était encore agrandi. Le Génie Militaire envisageait très sérieusement la construction d’un barrage sur le CHELIFF, près de PONTEBA, ouvrage terminé en 1871.
La vie continuait.
L’un des frères NOËL décédait à l’hôpital militaire d’ORLEANSVILLE, victime d’une cirrhose du foie et du delirium tremens ; désespéré, ruiné, il s’était réfugié dans le vin.
André NAUDIN, quant à lui, apprenait la naissance d’un autre petit-fils en Novembre 1867. Deux jours plus tard, le garde-champêtre le trouvait allongé dans son champ, le corps lacéré de 17 coups de couteau, son chien blessé gisant à ses pieds et hurlant à la mort. La tradition familiale rapporte qu’il aurait été assassiné par des Arabes, ce qui est fort vraisemblable : le chien, qui survécut, se montra à partir de ce moment-là extrêmement et systématiquement agressif envers les Arabes. Mais le ou les coupables ne furent jamais retrouvés et les preuves manquent pour trancher entre la thèse du lâche assassinat, de la jalousie ou de la vengeance, car il faut bien dire que les colons, endurcis par les épreuves et un travail acharné, n’avaient pas toujours le caractère facile…
Quoi qu’il en soit, on écrivit sur sa pierre tombale :
 » Ici repose André NAUDIN, victime des persécutions indigènes. « 
Un colon disparaissait, un enfant était né : la vie suivait son cours …

Crédit Jean-Louis DONNADIEU