Le Boulevard « Front de Mer » se situait à Alger…..Alger du temps des Français.

D’où le titre de cet envoi, titre un peu sibyllin, mais qui garde dans sa pureté, toute sa saveur pour les Algérois.

Il faut préserver ce genre de saveurs. Elles sont un goût unique. Tous les algérois (et les autres), (du temps des Français), le savent.

Quant aux esthètes à l’esprit chatouilleux…..qu’ils goûtent le contenu du flacon, avec bienveillance.

Sans ses accrocs à la sacro-sainte élégance de la langue de Molière, il serait un chouïa insipide.

Cqfd…..et merci à l’ami Charles, qui relaie pour nous tous, les vœux et le « petit coup de Nostalgie » de Jean-François.

PP

De : Jean-Francois CHARAVIN <

Allez un petit coup de nostalgérie pour bien commencer l’année.

La bise et tous mes vœux à tous.

HUBERT ZAKINE


Début du message transféré 

A ALGER LE BOULEVARD FRONT DE MER……

Le boulevard Front de Mer, cette magnifique promenade qui va du Square Guynemer en dessous de la Grande-Poste à la Place du Gouvernement (du Cheval), en réalité il n’existe pas plus que le Square Bresson ; mais à Alger on a toujours aimé mélanger les noms, et de même que le Square Aristide-Briant et la Place Bresson sont devenus le Square Bresson, les boulevards Carnot et de la République se sont fondus en un Front de Mer unique ; quant au véritable, officiel, boulevard Front de Mer, tous les Oranais vous le diront, c’est eux qui l’ont acheté il y a longtemps.

Mais ça ne change rien, du Square Guynemer au Square Bresson par le boulevard Carnot puis à la Place du Gouvernement par le boulevard de la République (d’abord de l’Impératrice,), demandez au premier algérois qui passe, il vous dira que vous êtes sur LE Front de Mer.

Je ne vous explique pas pourquoi on l’appelle comme ça, ce boulevard unique qui n’existe pas, mais je veux bien vous expliquer le mode d’emploi.

vous devez marcher avec la mer à votre droite, sinon vous êtes perdu, demandez vite à quelqu’un de vous remettre sur le droit chemin ; le trottoir de gauche est bordé d’arcades, sauf devant la Préfecture et quelques autres immeubles, ce qui est bien agréable quand il pleut (si ça arrive de temps en temps, je sais, je l’ai vu, je me suis même marié un jour comme ça), ou quand il y a vraiment trop de soleil ;

Quand on marche sur ce trottoir, la vue qu’on a sur les beaux immeubles Napoléon III, c’est vraiment beau, avec du bleu comme le ciel d’Alger sur les volets, que comme ça les visiteurs étrangers y vont comprendre pourquoi on appelle notre belle ville « Alger la Blanche

Le Front de Mer, il a eu une bonne idée, quand on part de la Poste. il tourne un peu à droite presque à la moitié du chemin, alors comme ça on voit toujours la mosquée de la Pêcherie à la Place du Cheval, et le Palais Consulaire où elle est la Chambre de Commerce ; et comme c’est là-bas qu’on va, c’est bien, au moins on sait où on va.

On commence la promenade en passant pas loin du Centre Culturel Français mais on le voit pas il est dans la rue derrière, à côté du commissariat de police de la rue Cavaignac; puis le premier immeuble c’est la Préfecture dans le même style colonial néo-mauresque que la Grande-Poste et les Galeries de France ; j’y suis entré une fois pour aller chercher le certificat d’enregistrement de la CFCIA où je travaillais à l’époque, c’est beau, le carrelage par terre on passe le chiffon tous les jours, la poussière elle est faite sur les tableaux et les lampes, si c’est pas le monde qui passe et qui repasse ça ferait une maison agréable. Juste à côté, c’est la « Nouvelle » Mairie, construite en 1930 par les frères Niermans comme celle de Puteaux à côté de Paris ; si on l’appelle « Nouvelle », c’est qu’avant il y en avait une autre. Ces deux grands bâtiments donnent par derrière sur la rue Alfred Lelluch qu’elle va pareil que le boulevard mais à l’envers ; et c’est par là qu’on rentre pour aller dans les bureaux pour la carte grise et tout ça.

Juste avant que vous arrivez à la rue Waïsse avec l’agence Air Algérie et le cinéma Triomphe, le grand bâtiment moderne avec les jardins suspendus au deuxième étage, c’est l’Hôtel Aletti ; un petit jardin à l’entrée avec la station des taxis et pas de parking, que ça date de quand on avait pas beaucoup de circulation et beaucoup de taxis, la grande porte tournante en bois et en cuivre pour s’envoler comme le Capitaine Haddock, le grand restaurant à gauche la réception, le salon qui regarde la mer, si vous voulez connaître la suite vous prenez une chambre. Il y a encore le Casino et le cinéma Studio Aletti et c’est là que j’ai vu « La Guerre des Boutons »).

Du côté de la mer, vous voyez la Gare d’Alger , peut-être avec les beaux wagons inox du train de Constantine ou d’Oran, les taxis qui vont et qui viennent, les voyageurs qui partent ou qui arrivent ; pour aller là-bas en bas à la gare, si vous êtes en voiture vous descendez par la rampe Magenta, si vous êtes à pied vous allez un peu plus loin jusqu’au Bastion Central, et vous prenez l’ascenseur si elle marche, ou bien les escaliers si y marche pas. Sur le trottoir de gauche de la rampe sous le boulevard, tous les commerçants en gros d’Alger sont là, en cas que vous avez besoin de quelque chose avant de prendre le train ; les magasins, certains valent vraiment le coup, sous les voûtes très hautes fermées par des portes métalliques entre vert et noir, avec la marchandise qu’elle déborde sur le trottoir

Dans le temps, le Bastion Central c’était la Gare routière pour aller dans le bled, avant l’invention de la SNTV : les cars Chausson Lotfi bleu se garaient tout autour de la buvette qui est au milieu en plein là où ça gêne tout le monde, avec les taxis collectifs Peugeot 403 et 403 camionnette ; après, les cars de la SNTV étaient trop gros.

Pour remonter sur le boulevard, ou bien vous prenez la rampe en face, Chasseloup-Laubat, qu’elle vous mène presque direct à la Place du Cheval, ou bien mieux les escaliers vers le Square Bresson, en passant entre les chaises des clients des gargotes qui sont tout autour, comme ça vous pouvez faire votre menu en même temps : casse-croûte merguez, casse-croûte frite, casse-croûte omelette, casse-croûte cacher, gazouz et café ; et là, en haut de l’escalier le Square Bresson, c’est là que j’habitais avant de me marier !

Venez, je vais vous montrer quelque chose : d’abord, on passe devant l’Hôtel Terminus, à peu près le seul endroit où on peut prendre un café et un croissant à 6 heures le matin à Alger, même le 1er janvier, je l’ai fait . Ensuite on traverse la rue Ledru-Rollin que au bout vous avez la Pharmacie Moralli que j’habitais en face et que j’allais acheter mes médicaments et que la jeune pharmacienne elle était belle comme un astre (quand j’étais au Lycée, d’accord ça date, mais pas assez pour que je l’oublie, pas assez pour que je me sens vieux), ensuite la rue Colbert, et enfin la rue de Strasbourg. Dans la rue de Strasbourg, il y a le bureau de poste où j’ai acheté tellement de timbres et où j’ai mis tellement de lettres à la boîte (j’ai toujours aimé écrire), des arbres splendides sur les trottoirs (platanes ou bellombras je me rappelle plus) ; et surtout, la rue de Strasbourg elle est coincée entre les deux immeubles de la Banque d’Algérie (Banque Centrale d’Algérie) et de l’Assemblée Algérienne, que c’est là que je voulais vous emmener depuis tout à l’heure.

Comment, vous avez mal aux pieds ? Eh bien pas moi, moi j’aurais pu faire le trajet sur les mains, sur les genoux, avec des pois chiches dans les chaussures, à cloche-pied, à reculons, n’importe comment.

L’immeuble de l’Assemblée Algérienne date de 1913 ; le Gouverneur Général Lutaud l’a inauguré le 7 juin 1915 ; il a d’abord abrité les « Délégations Financières », c’est-à-dire la première assemblée de représentants des départements d’Algérie ; En réalité, toute cette promenade, en dehors de nous faire prendre le soleil et sentir l’odeur de la mer, n’avait qu’un seul but : introduire la visite du Palais Carnot parce que ici comme bien souvent ailleurs maintenant l’Algérie n’a plus peur d’évoquer son Histoire et la période de 1830 à 1962, que je suis toujours un peu surpris de voir qualifiée de « coloniale », mais je finirai par m’y habituer.

Le Palais Carnot, comme le boulevard sur lequel il est situé, a été décoré en 1930 pour le Centenaire de l’Algérie de splendides peintures, fresques et sculptures.

Bon, allez on continue parce que sans ça on va jamais arriver à la Place du Cheval avant ce soir ! Vite, vite on retourne à le Square Bresson, là aussi si vous avez faim vous pouvez acheter un casse-croûte, et si vous voulez m’envoyer une carte postale achetez la au kiosque côté rue de Constantine.

Sur le trottoir de la rue Littré, le café il est pas chic comme celui de l’Hôtel Terminus, c’est plutôt devenu un café maure, mais entrez quand même si vous avez soif, de toute façon y reste plus beaucoup de chemin. Faites attention quand vous allez traverser les petites rues qui vont à la rue Jules Ferry, vous savez çuila-là qu’il a inventé l’école élémentaire laïque et bessif pour les enfants qu’i trainent pas dans la rue et aussi qu’ils apprennent à lire, à écrire et à compter. Et ensuite on arrive à « l’Ancienne » Mairie, celle qui existait avant la Nouvelle de tout à l’heure, et qu’elle est devenue ensuite mairie d’arrondissement, un bel immeuble Napoléon III où j’allais souvent pour tout ce qu’on va faire dans une mairie ;.

Et puis voilà, encore les rues Saint-Louis et de Palmyre à traverser, et les vieux pavés tordus, et ça y est on est arrivé à la Place du Cheval,

C’est une belle place, la Place du Gouvernement, avec la mosquée de la Pêcherie, l’ancienne Bibliothèque Nationale, tous les magasins sous les arcades, les arrêts d’autobus, les taxis, les arbres sur le côté avec les cheveux bien coupés au carré ; le soir, quand le soleil va se coucher dans la mer, tous les oiseaux du monde ont rendez vous pour faire paseo sur la Place, et alors là il faut un porte-voix pour se faire entendre.

Du trottoir côté mer, dites moi que la vue elle est belle sur le fond du port, la Pêcherie, la Santé Maritime, le vieux Sport Nautique ; et si j’ai bien compris maintenant en descendant les escaliers on arrive aux voûtes; en bas à gauche l’escalier en face la Santé Maritime juste en dessous le début du Boulevard Anatole France il y a les ateliers de Francis Spinosa, le spécialiste du tournage sur métaux le plus sympathique que j’ai connu.

La Place du Cheval c’est comme la Place Saint-Marc à Venise, Trafalgar Square à Londres, la Grand’Place à Bruxelles, Saint-Germain des Près à Paris ou la Place Syntagama à Athènes, c’est un endroit unique dans la ville, là où les souvenirs de tous ceux qui y sont passés un jour s’accumulent pour former une montagne que les archéologues de l’an 3 000 viendront fouiller avec respect.

AUTEUR INCONNU